« Quand j’ai vu les lissières en action, je suis tombée amoureuse. » se rappelle Emilie Poteau. C’est à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai qu’elle découvre l’art du tissage, en visitant un atelier. Elle devait y faire un stage de trois semaines. Elle y restera finalement trois ans.
Depuis son plus jeune âge, Emilie Poteau se réfugie dans le dessin. « À cette époque-là, je touchais déjà un peu au tissu, se souvient-elle, mais je n’arrivais pas à me décider sur la suite de mon parcours. » Après des études de graphisme, elle découvre l’art de la tapisserie et se promet de vouer sa carrière de lissière à dépoussiérer ce métier.
Tout pour sauver le métier de lissier
« Le métier de lissier a été très réputé, notamment au XIVe siècle, raconte la jeune artiste. Quand je me suis rendu compte qu’il était en train de mourir, je me suis dit que j’allais essayer de le réanimer. » Emilie Poteau décide alors d’emménager à Arras dans les Hauts-de-France, ville berceau de la tapisserie. En 2018, dans son petit atelier, elle lance sa propre marque : Une pâquerette dans les cheveux. « Je me suis pris un job alimentaire pour payer mes factures. Et quand je ne travaillais pas, je tissais. » Cela fait seulement un an qu’Emilie Poteau parvient à vivre de ses réalisations.
Au milieu de ses quelque 200 bobines de laine, la lissière l’assure : « tisser ça détend vraiment. » Et on veut bien la croire. Sur son bureau légèrement dérangé : un carnet avec des dessins. « Ce sont mes cartons ». Sur les pages encore blanches, Emilie Poteau crayonne des portraits, des formes, des paysages. Ensuite seulement, elle les tisse. « Je réalise des broches, avec des représentations de fleurs ou même de portraits de famille. » Sans oublier des tapisseries beaucoup plus grandes.
Partager un savoir ancestral
« La tapisserie la plus importante que j’ai dû tisser faisait 1,10 mètre sur 80 centimètres. J’ai mis huit mois à la terminer », sourit la lissière. Parce qu’elle l’avoue tout de même, tisser n’a rien d’évident. « Il y a beaucoup de techniques. Moi j’utilise la technique ancestrale. Elle n’est pas facile mais cela me permet de faire des choses folles ! »
« Je suis la seule professionnelle dans les Hauts-de-France. Il ne reste plus que deux vrais ateliers : celui d’Aubusson, et un autre à Paris. »
La tapisserie est le résultat d’entrecroisement de fils de laine teintés sur une armature en fils de chaîne. Emilie Poteau, elle, réalise ses tapisseries de manière verticale. Et non dans le sens de la lecture du dessin.
Aujourd’hui, Emilie Poteau prend plaisir à partager son savoir. « Je donne des cours dans des écoles et j’anime des ateliers particuliers. » Parfois, elle est contactée par les musées et médiathèques pour réaliser des animations. Et quand elle ne s’occupe pas de ses apprentis lissiers, l’artiste s’exerce sans relâche. « Je ne suis jamais sans occupation », s’amuse-t-elle.
Des rêves au fil des doigts
Quand on ose aborder le sujet des horaires de travail, l’Arrageoise se veut réaliste : « Je ne prends pas de vacances alors je me mets tout de même des limites. Dès qu’il n’y a plus de lumière du jour, je m’arrête. En hiver je termine souvent plus tôt, mais en été… » En été c’est bien souvent compliqué de s’arrêter pour celle qui est passionnée.
Le métier à tisser devant elle, le fil de laine au creux des doigts, Emilie Poteau se prend à rêver. « Mon objectif serait d’ouvrir un atelier de tapisserie professionnel à Arras. Un atelier où je pourrais former des lissières, où on pourrait les voir à l’œuvre à travers de grandes vitrines. » Qui sait, peut être qu’un jour, ce métier sera totalement dépoussiéré.