jeudi 21 novembre 2024

La diversité… ne devrait plus se défiler

À 27 ans, Pernelle Marcon arpente régulièrement les podiums, juchée sur ses prothèses. La jeune femme a perdu ses jambes et ses mains en 2012 à cause d'une méningite. Une épreuve qui a poussé cette ancienne handballeuse de haut niveau à devenir top model militante. Aujourd'hui, elle regrette le manque de visibilité des corps handicapés et exhorte le monde de la mode à changer de mentalité.

Devenir mannequin ? « Ce n’était pas du tout mon rêve », reconnaît Pernelle Marcon. Sa vie prend le chemin des défilés de manière imprévue. En 2012 à l’âge de 19 ans, elle perd jambes et mains suite à une méningite fulgurante. Jusqu’alors plus sensibilisée au combat féministe, elle découvre les discriminations réservées aux personnes handicapées et s’engage dans le mannequinat pour combattre les stéréotypes. Lorsqu’elle défile, elle se considère plus comme une activiste, « partisane » d’une mode inclusive, que comme une top model.

En 2018, Pernelle Marcon découvre les podiums en défilant pour U-Exist aux 48H Maisons de Mode.

Photo Clément Decoster


Tout a commencé en 2018 avec U-Exist, une marque de customisation de prothèse. Dépourvu de budget communication, le créateur lui demande de poser pour des photos. « C’était un projet social que je trouvais vraiment engagé et qui avait une utilité concrète », se souvient-elle. Depuis, elle défile ponctuellement pour des marques indépendantes et des écoles de mode, tout en gardant une activité professionnelle dans une association d’éducation populaire.

Les convictions avant le podium

Quelques mois plus tard, ce militantisme conduit Pernelle Marcon à intégrer Wanted, une agence spécialisée dans le recrutement de modèles atypiques. À première vue, le site de ce recruteur peut surprendre. Des portraits photo défilent sous des rubriques aux noms explicites : « Albinos », « Cicatrices », « Handicap » ou encore « Transgenre ». Une classification qui a d’abord rebuté la jeune femme.

Elle reconnaît avoir pensé, pendant un temps, que l’étiquette « handicapée » était dégradante. « Je n’ai pas mon handicap depuis le début de ma vie. Ce n’est donc pas quelque chose dans lequel je m’identifie particulièrement. » Et de tempérer : « C’est ce qui se passe avec des mannequins dites lambda. C’est une objectification du corps. Sauf que là on utilise des mots qui vont faire tiquer les gens. » Selon elle, il vaut mieux que les pratiques soient rémunérées et valorisées plutôt que de rester dans une logique voyeuriste, comme cela a pu être le cas dans les freak show des XIXème et XXème siècles.

Photo Clément Decoster (gauche) / Photo Ricardo Montoya (droite)


Pour la militante, il ne faut pas se leurrer, montrer ces corps que l’on voit si peu représente aussi un intérêt marketing.
« Si cette stratégie peut rendre les gens moins malheureux, c’est mieux », relativise l’activiste. Elle déplore tout de même que la plupart des campagnes publicitaires où figurent des personnes handicapées véhiculent encore beaucoup de stéréotypes, notamment quand elles les représentent comme des super-héros. « Les personnes handi ne se reconnaissent pas du tout  là-dedans. »

Les corps handicapés, grands invisibilisés

L’identification du consommateur au mannequin est fondamentale pour la top model : « On ne voit pas beaucoup de corps différents dans les milieux de la mode, de la publicité, du cinéma, ou de la représentation en général. » Elle souligne que « c’est très important d’avoir des personnes qui représentent la diversité, de rendre visible les gens qu’on a tendance à invisibiliser ». Une pratique qui n’a plus sa place à notre époque, alors que naissent des mouvements de célébration des corps différents. 

Photo Ludovic Sarmento (gauche) / Photo Yann Bar (droite)


Pourtant, la tendance du body positivism, plutôt Anglo-saxonne, peine à s’ancrer dans l’Hexagone. « Nous n’avons pas le même rapport au corps, explique Pernelle Marcon. Les carcans sociaux sont plus difficilement renversés, on aime bien les conventions, c’est historique. » Elle rappelle qu’aux États-Unis, les personnes handicapées ont manifesté pour leurs droits dans les années 90, ce qui n’est pas arrivé en France. Du moins pas encore, puisque les nouvelles technologies pourraient changer la donne. Peu à peu émergent des discours moins normés, via les réseaux sociaux notamment, qui rendent certaines revendications plus audibles.

Pernelle Marcon se veut optimiste : « Je pense que le fait d’avoir Internet et donc la possibilité de s’exprimer et de se rassembler, même si c’est virtuel, va peut-être faire bouger les lignes. » À ses yeux, la seule volonté des individus souhaitant voir plus de corps handicapés ne suffira pas à changer le regard des gens. La balle est dans le camp des créateurs et des agences de mode.


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