jeudi 21 novembre 2024

La diversité… n’est pas qu’un effet de mode

Peaux colorées, physiques atypiques, corps vieillissants, genres fluides… Ces dernières années, des beautés nouvelles et différentes sont mises en lumière dans le monde de la mode. Leurs premières ambassadrices ? Les mannequins. Si l’avènement des top models atypiques est parti pour s’inscrire dans la durée, il semble pour autant difficile de redéfinir les critères traditionnels de la beauté.

« La diversité et l’inclusion ne sont pas une tendance, mais la façon dont nous devrions tous fonctionner à l’avenir. » C’est ainsi que Steven Kolb, le directeur du Conseil des créateurs de mode américains (CFDA), a lancé la Fashion Week de New York en janvier 2019. L’appel à l’inclusion d’un tel organisme, chargé entre autres de définir un code de pratiques éthiques dans l’univers de la mode américaine, marque un véritable tournant dans la valorisation de nouvelles formes de beauté.

La presse de mode a joué un rôle déterminant dans cette évolution. Déjà en 2017, l’édition britannique du magazine Vogue affichait en une la mannequin grande taille Ashley Graham. Une façon d’inciter les femmes ayant des formes à s’assumer et à se sentir belles. En mai 2018, cette même édition titrait : « Nouvelles frontières ». Des nouvelles frontières revendiquées par neuf modèles d’ethnies diverses, à la peau colorée et aux cheveux crépus ou voilés. Un contraste flagrant avec la plupart des publications habituelles, montrant en majorité des top models blanches.


Cette diversité est surtout mise en avant sur les podiums. Si les mannequins non-blanches sont invitées depuis longtemps dans l’univers de la haute couture, notamment par Yves Saint Laurent dès la fin des années 1960, l’évolution des critères de beauté commence à se généraliser. Une ouverture qui permet aujourd’hui à Winnie Harlow, atteinte de vitiligo, de prêter son image à la marque Desigual, brisant ainsi les clichés sur cette maladie de la peau.

L’industrie de la mode a également été secouée par l’arrivée de Valentina Sampaio chez Victoria’s Secret en août 2019. En étant le premier ange transgenre, la Brésilienne est devenue une représentante de cette identité victime d’importantes discriminations. Autre exemple notable, L’Oréal a choisi de faire défiler la championne de ski alpin Marie Bochet, née avec une malformation au bras, lors des Fashion Week de 2018 et 2019.

L’anticonformisme, tendance du XXIe siècle

Si ces quelques cas sont loin de réécrire les diktats traditionnels de la mode, la diversité séduit les agences de recrutement qui n’hésitent pas à mettre à profit les outils numériques qui sont à leur disposition. C’est le cas de l’agence internationale IMG Models, représentant entre autres la mannequin brésilienne Gisele Bündchen, qui a créé la campagne « We Love Your Genes » en 2014.

Le principe est simple : dénicher des top models atypiques parmi les utilisatrices du réseau social Instagram. En postant un cliché accompagné du mot-clé #WLYG, n’importe qui peut tenter de se faire repérer. N’importe qui ? Pas vraiment et c’est là où le bât blesse : au milieu des instagrameuses découvertes grâce à la campagne, les profils différents se font cruellement désirer. En dehors de quelques femmes colorées, la plupart des sélectionnées ont un physique élancé, maigre et tout compte fait très uniformisé. 

Pour défiler, l’idéal est
de mesurer environ
1,78 m et de rentrer
dans une taille 36.

Photo Pixabay


Au final, les marques et agences font-elles preuve d’une réelle prise de conscience, ou se contentent-elles de surfer sur la vague de l’anticonformisme pour se donner une bonne image ? Les circonstances entourant la récente ascension de Valentina Sampaio chez Victoria’s Secret entretiennent le doute.

L’égérie transgenre a rejoint la marque américaine quelques mois après une déclaration décriée d’Ed Rezak, son directeur marketing. Dans les colonnes de Vogue US, il avait fermement écarté toute possibilité d’intégrer des anges transgenres aux défilés de la griffe. Des propos qui ont entrainé sa démission, après 36 ans de bons et loyaux services. Valentina Sampaio arrive donc au moment idéal pour redorer le blason de Victoria’s Secret…

Au-delà des questions de notoriété, l’inclusion est avant tout un argument marketing. Toucher plus d’individus et de communautés fait mathématiquement plus vendre. Représenter une plus large diversité ethnique facilite l’accès aux marchés internationaux. Une étape indispensable quand on sait que d’ici 2024, le marché mondial du luxe sera porté par les consommateurs chinois à hauteur de 40 % (Etude Boston Consulting Group de septembre 2018). Ces dernières années, des maisons telles que Chanel avec la Sud-coréenne Soo Joo Park, ou Prada avec la Chinoise Fei Fei Sun, ont multiplié les partenariats avec des mannequins asiatiques.

Selon le Dr. Ben Barry,
les femmes noires sont 1,5 fois plus susceptibles d’acheter un produit de mode porté par un mannequin noir.

Photo Retha Ferguson


Pernelle Marcon est une mannequin handicapée de l’agence Wanted, spécialisée dans les modèles atypiques. Pour elle, les grandes marques ne font jamais rien sans intérêt, mais l’important est « l’impact de la stratégie marketing sur les gens : si [cette stratégie] fait moins de mal aux gens, alors c’est mieux ».

Selon le Docteur Ben Barry, professeur à la Ryerson University de Toronto au Canada, la nouvelle génération multiculturelle des consommateurs achète effectivement plus quand son image est reflétée dans les publicités. Les acheteurs seraient demandeurs de physiques qui leur ressemblent. « Il y a certainement un côté marketing », admet Frédéric Monneyron, sociologue ayant étudié, entre autres, les représentations du corps véhiculées par la mode. Il convient donc de « répondre [aux attentes] d’un public qui est de plus en plus divers ».

À cette diversité s’ajoute ce que Pernelle Marcon qualifie de « ras le bol face à l’invisibilisation de certains corps ». La Française assure que les réseaux sociaux rendent cette exaspération plus perceptible, et provoquent plus de revendications. « Fondamentalement parlant, c’est un problème plus sociologique, abonde Frédéric Monneyron. La beauté est ce qu’il y a de plus inégalitaire qui soit, et dans notre temps où on vise l’égalité à tous les égards, elle est presque devenue suspecte. »

Plus qu’un nouveau beau, un nouvel idéal

Pour répondre à ce besoin viscéral d’égalité, l’univers de la mode rend visibles des mannequins qui ne répondent plus forcément à la définition traditionnelle du « beau ». Mais cela remet-il vraiment en question les canons de la beauté ? « Ma réponse est non », soutient Frédéric Monneyron. « C’est toujours la finesse qui procure la sensation esthétique. Un beau visage sera toujours un beau visage, ça ne peut pas changer, c’est très mystérieux. Si on propose 100 visages féminins, on va peut-être en identifier 10 comme étant des beaux visages : tout le monde, quel que soit son niveau culturel, quelles que soient ses origines, va aller dans le même sens, sur toute la planète. »

Une redéfinition du beau serait donc impossible. En tout cas, en ce qui concerne les visages. S’agissant des corps, le sociologue est moins catégorique. Depuis l’Antiquité, le corps idéal a beaucoup évolué et n’a pas toujours été ultramince, comme on le connaît à notre époque.


Si le « beau » ne change pas, les mentalités elles, évoluent. Timidement certes, mais Frédéric Monneyron se refuse à y voir un simple attrait passager. « Aujourd’hui, ce qu’on appelle le body positivisme commence à prendre un peu plus d’ampleur. Ce n’est pas seulement une mode, c’est une tendance de fond », détaille-t-il. Le spécialiste estime que nous allons « peut-être avoir de plus en plus de mannequins qui ne répondent pas aux codes esthétiques en vigueur ».

Conséquence des changements sociologiques de notre temps et besoin d’identification du public à des physiques plus réalistes, l’évolution des canons de beauté chez les mannequins est un phénomène qui n’est pas près de s’arrêter. Espiègle, Frédéric Monneyron explique simplement que « dans le monde de la mode, la mode n’est plus aux belles », en tout cas à celles considérées comme tel par les conventions. Pour la mannequin du futur, être jolie ne suffira donc plus. 


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