vendredi 19 avril 2024

Laura Frank,
le tatouage
comme
vêtement

Une vie parisienne. Un boulot de styliste. La vitesse. Laura Frank (Linseï, de son nom d'artiste), ou comment tout plaquer pour partir vivre à l’autre bout du monde et devenir tatoueuse. De la Nouvelle-Zélande à la Thaïlande en passant par l’Australie, cette tatoueuse globe-trotteuse de 27 ans a récemment posé ses bagages à Strasbourg. Dans sa tête, des souvenirs de contrées lointaines mais aussi, et surtout, un amour inconditionnel pour la nature.

Tu as commencé dans le monde de la mode. Qu’est-ce qui te plaisait à l’époque ?

Je dirais que le textile me parlait plus qu’une autre matière. Avant le tatouage, ce qui m’animait, c’était le côté historique, tribal, ethnique de la mode. C’est l’histoire humaine, le fait que tu puisses en savoir plus sur une personne simplement grâce à ce qu’elle porte.

Si tu aimais la mode, pourquoi avoir tout lâché pour la Nouvelle-Zélande ?

Justement, je ne retrouvais pas ce côté ethnique. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, en dehors de la haute couture où l’on prend des risques pour proposer des choses nouvelles, il n’y a plus de création. Au final, c’était très ennuyeux comme boulot. C’était compliqué et engorgé.

Et tu faisais quoi ?

J’étais assistante styliste. Mais le truc, c’est que je n’ai jamais été engagée. C’était juste d’un commun accord avec ma patronne. Je devais tout faire : le style, le design, le marketing… Il fallait aussi gérer le bureau parce que c’étaient des petites équipes, des petits créateurs, donc ils n’avaient pas l’argent pour embaucher. Au bout d’un moment, j’ai dit stop. Paris m’agressait, et puis j’ai eu un déclic : « Il n’y a rien qui va bouger ici, j’ai besoin de renouveau. Je vends toutes mes affaires, je prends un ticket pour la Nouvelle-Zélande sans retour et on verra bien ce qu’il advient de moi ! »

Donc, t’as tout plaqué ! Comment en es-tu venue au tatouage là-bas ?

Dans le tatouage, il y a une dimension ancestrale. Je cherchais quelque chose qui avait du sens. En Nouvelle-Zélande, j’ai appris sur des dessins maoris, sur la manière de les dessiner, sur le côté culturel aussi avec la cérémonie… C’était ça le plus intéressant. Là-bas, les gens qui ne sont pas maoris respectent vraiment cette culture, ils ne se l’approprient pas. C’est une sorte de pudeur assez belle. Donc je fais pareil !

Laura Frank (Linseï) en haut à gauche dans le shop “Sacred ornaments tattoo” à Bali (Indonésie).

Et après, tu as continué à parcourir le monde ?

Je suis restée deux ans en Nouvelle-Zélande. J’ai voyagé au Vietnam et en Birmanie, je suis allée en Malaisie pour Sea Shepherd, où j’ai appris à planter des coraux sous l’eau. J’ai fait des allers-retours en Thaïlande, en Indonésie, en Australie. Je peux faire jusqu’à cinq trajets par an. Ça m’a menée vers une vie plutôt cool, mais assez désordonnée ! (rires) 

Tu nous as parlé de Sea Shepherd. Voyager t’as donné envie de prendre soin de l’environnement ?

J’ai toujours été amoureuse de l’océan. Après ma formation en Malaisie pour Sea Shepherd, je me suis demandé comment, en tant qu’artiste peu connue, je pouvais aider. De fil en aiguille, j’ai rencontré des gens d’Amsterdam qui avaient pour projet d’ouvrir un shop où 100% des prestations seraient versées à Sea Shepherd. Ils m’ont proposé de venir et il s’est avéré que j’étais la première tatoueuse à y participer ! 

Aussi, en Thaïlande et en Malaisie, je me suis amusée, avec d’autres, à déposer des dessins au fond de l’eau, pour sensibiliser les gens au respect des océans. Pour les pousser à regarder la faune et la flore marine, comme si c’était une exposition. C’était drôle de voir les nageurs observer les œuvres tout en gardant une certaine distance. C’était comme un musée sous l’eau.

Les fonds marins de Koh Tao (Thaïlande), en 2017.

Qu’est ce que tu as gardé de tes voyages dans tes tatoos ?

Surtout l’art balinais. C’est une culture très proche de la nature. J’ai été inspirée par les gravures, les bas-reliefs, les statues de pierre et de bois… L’artisanat sur l’île est très riche. Et puis, il y a aussi la Thaïlande, avec ses temples bouddhistes très décorés. C’est presque trop chargé, mais tellement beau !

Tes tatouages sont donc plutôt ornementaux ?

Oui, mais j’aime bien être capable de maîtriser des techniques différentes. Par exemple, j’ai toujours admiré les gens qui font du réalisme, des personnages, des animaux, donc je me suis exercée à ça. Mais effectivement, mes inspirations du moment sont des motifs ornementaux avec des aplats. Je me rapproche de l’aspect tribal qui est plus marqué, plus géométrique. Et puis, je travaille avec du noir. Dans mes dessins préparatoires, j’utilise surtout de l’encre de Chine et du charbon qui me ramènent à la terre. Le noir est une couleur pure, tu n’as pas besoin de beaucoup pour créer du contraste, de la profondeur.

Le mot de la fin : tu ne regrettes pas ce que tu faisais avant ?

Non, je tatouerai jusqu’à ce que je ne puisse plus ! Pour moi, ce que je fais n’est pas différent de la mode, c’est juste ancré dans la peau. Quand je tatoue une jambe, un dos ou une poitrine, je le pense comme un habit. C’est un fabuleux vêtement que tu as sur toi toute ta vie, qui t’appartient. Comme un renforcement de ton identité. 

Projet de tatouage dessiné par Laura Frank (Linseï).

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